Le moulin

Affieffé au Domaine royal, le moulin de Navarrenx appartenait, par privilège, à la communauté de Navarrenx. L’approvisionnement en farine de la ville dépendant de ce moulin, la communauté, à travers ses jurats et maires, portait une attention toute particulière au fonctionnement du moulin au point d’en relever de l’obsession. Cela fut notre chance car rares sont les témoignages aussi fournis, aussi fréquents et sur une aussi longue péridoe. Rien de tel alors pour pour comprendre l’ampleur des travaux menés depuis le début du XVIIe siècle sur ce moulin ballotté part le gave d’Oloron. Chaque décision et chaque intervention sur les infrastructures étaient consignées sur des registres annuels qui nous sont parvenus en très bon état.Registre

 

Le site et le moulin

 

Le moulin de Navarrenx était à l’origine construit pour assurer l’approvisionnement des habitants et de la garnison.

En 1718, sur « cette rivière est une espèce de torrent par la grande rapidité avec laquelle elle descend des montagnes des Pyrénées », il y a « un fort beau moulin à eau qui est sur la rivière il y a cinq meules qui vont continuellement ; elle s peuvent moudre toutes les vingt quatre heures 120 sacs de bleds mais les sacs du Béarn ne sont guère plus que la moitié des sacs ordinaires de France. On pourrait détourner l’eau qui fait moudre le moulin mais ce serait un très grand ouvrage et de longue haleine, je suis persuadé qu’on prendrait beaucoup plus facilement la place (de Navarrenx) que détourner la rivière. D’ailleurs, on peut couper la communication de la ville avec le moulin ».

Le moulin, possédé par les jurats (collège de notables élus par les villageois) mais relevant du Domaine, était affermé à un ou plusieurs fermiers pouvant être à la fois fermier et meunier dudit moulin. Le fermier avait obligation d’assurer la bonne gestion et le bon fonctionnement du moulin. En revanche, la communauté s’engageait à entretenir les ouvrages hydrauliques ; à vrai dire, seul un propriétaire doué d’une véritable capacité financière pouvait assurer l’entretien et les réparations d’ouvrages aussi conséquents que ceux de Navarrenx.

La première trace écrite date d’entre 1385 et 1388 date à laquelle Gaston Phébus, prince de Béarn, fait emprisonner les jurats de Navarrenx jusqu’à ce que les habitants acceptent de contribuer aux réparations de son moulin. Entre 1398 et 1406, Berduquet de Carsussan, chef des travaux du comte de Foix, et les jurats de Navarrenx vérifient les travaux réalisées par les cagots au moulin. Entre 1412 et 1415, le moulin fait l’objet de nouvelles réparations par les cagots1 probablement sur l’ordre, une nouvelle fois, de Gaston Phébus. Le 24 juillet 1507, la ville de Navarrenx prête foi et hommage à Catherine, reine de Navarre, duchesse de Nemours, comtesse de Foix, seigneur de Béarn, comtesse de Bigorre, pour le moulin de Navarrenx « fondat en lou fluby deu gabe ».

Pour ce qui concerne le XVIe siècle, d’éléments ont été retrouvés dans les archives alors qu’au même moment avait lieu la construction des fortifications (de1538 et 1547).

En 1639, le moulin de Navarrenx était dit « à farine » et produisait de la poudre à canons pour la garnison de Navarrenx. Au mois d’août 1676, les jurats nomment deux experts chargés de nommer « massons et charpentiers et forgeron de moulin » pour expertiser l’état du moulin et définir les travaux à mener.

Le 13 mai 1765, les jurats ayant demandé une expertise du moulin, deux d’entre eux et un charpentier vérifient que « pour la meule du loin, il fallait un tenon au moullé bolan, une pièce à côté dudit moullé et une autre pièce sur le devant du grand moullé ; qu’à la meule du milieu, il fallait deux pièces au grand moullé et changer les deux tenons au volants de la dite meule ; qu’à la meule de millocq (maïs), il fallait un tenon au moullé volan ; que le toit du moulin est en désordre considérable, qu’il n’est pas possible lorsqu’il pleut de se tenir au pied des meules et de ramasser la farine sans être inondé et sans que la farine n’en souffre et ne déperde beaucoup ». De plus, « les enchassures des meules causent un préjudice considérable au public en ce qu’il restait une quantité considérable de farine au coin des meules susidites par le défaut de leur jointure, enfin, le désordre du toit (…) ». Les jurats donnent alors « ordre aux sieurs Jean et Etcheverry de mettre les meules en bon ordre et exemptes de toute fraude, fermer les gouttières qui donnent sur les meules et endommagent les farines ».

Le 13 mai 1768, suite à une crue, les jurats constatent les dégâts causés aux piliers du moulin. La crue a enlevé « l’avant bec du pilier et le couronnement ».

Le 18 novembre 1768, un nouveau rapport remis aux jurats sur l’état du moulin indique : «le moulin est dans le plus grand désordre sur quoi le meunier actuel [a dit] qu’il ne trouvait ni à loger, lui, ses valets ni ses montures dont il a besoin pour l’extraction des grains, non plus que des greniers pour serrer ceux provenant des moutures ou plasser quelque peu de fourrage pour l’entretien des montures, à quoi il était indispensable de pourvoir ». A cette date, la ville de Navarrenx touchait, entre autres, 2500 à 3000 livres de revenus du moulin affieffé au roi, mais cette année, vu le prix « exorbitant des grains », elle percevait 3400 livres de rente. En contre partie de ce fermage, la communauté devait assurer l’entretien des « bâtiments du moulin, au dedans et au dehors, immeubles, ferrements, boisage, vidanges du bassin et canal, réparations des toits et écluses ». Les travaux se montaient pour 1768 à 800 livres.

Le 18 novembre 1773, Pierre Biot, fermier du moulin, déclare percevoir 5619 livres de droit de mouture. Le même jour, les jurats constatent les dégâts causés par « le gros vent et fortes pluies qui durent depuis près de trois semaines ». Cet événement a fait « apercevoir la nécessité qu’il y a de faire réparer les couvertures et gouttières du toit du moulin, l’emboîtement des meules qui se trouvaient pourris, une partie du toit de la halle et les bancs de marchands drapiers qui ne peuvent plus y tenir (…) ».

Un an après, il touchait 4900 livres. Le 27 janvier 1776, les jurats adjugent les réparations à faire à l’intérieur du moulin. Le 11 juillet de la même année, Jean Pée, maître charpentier de Navarrenx est dépêché au moulin pour expertiser les réparations à faire au moulin ; il y remarque « qu’un ancien bâtiment qui servait pour les machines à friser et qui depuis longtemps ne sert à aucun usage, formant au contraire un sujet de détérioration pour le grand corps de moulin, devrait être détruit et que l’on y trouverait une partie de smatériaux pour les réparations à faire (…) ».

Le 5 mai 1778, la couverture des bâtiments du moulin « se trouve en désordre, la charpente a besoin de réparations et les fermiers demandent aussi le changement de quelques pièces au dessous du moulin ». Le 16 novembre, le droit de moulange est de 4800 livres et un an plus tard, de 3390 livres.

Au cours de l’hiver 1779-1780, le Gave se déchaîne une nouvelle fois : la rivière déborde et l’orage éclate. Les cuves des deux meules de « millocq se trouvent démantelées et hors d’état de travailler ». Le devis des réparations s’élève à 340 livres. A cette époque, la mise en chômage du moulin pour réparations coûte 14 livres par jour non travaillé.

En mars 1783, la communauté de Navarrenx manifeste son mécontentement après avoir appris l’existence d’un projet destiné à « priver la communauté tant du moulin (…), hallage, boucherie et autres droits affieffés aux souverains du Béarn par les actes et patentes de 1506 et 1507 ». Elle dénonce « le vain prétexte qu’il avait été donné des deniers d’entrée et qu’ils ne doivent être considérés que comme des actes gagiaires ». Il est vrai qu’à l’époque, les finances publiques du royaume commençaient à être aux abois, Louis XVI et Turgot, son ministre des Finances cherchant alors à récupérer, par tous les moyens, des modes de financement efficaces.

Au printemps 1787, la crue annuelle impose des réparations « très urgentes » mais la communauté ne dispose d’assez de moyens financiers pour les assurer dans les temps. Elle s’adresse alors à l’Intendant afin qu’il nomme un expert qui procédera à l’estimation des travaux. Solliciter son aide implique une aide financière de sa part. Mais jugeant que la procédure administrative sera trop longue par rapport à l’urgence de la situation, les jurats demandent à Cazemajor, charpentier, de réparer « incessamment les cuves qui encaissent les meules, enfin de réparer tout ce qui peut donner quelque ouverture ou quelque espèce de facilité à la moindre fraude ». Mais cela ne suffit pas. Les jurats, las d’avoir à intervenir en permanence sur le moulin, proposent que « conformément à l’ancien usage, deux commissaires de quinzaine qui demeurent chargés de faire fréquemment durant le temps de leur commission, la visite dudit moulin, constater toute sorte de dégradation et de rangement dans l’encaissement des meules ». De plus, les vannes du passequand2 du moulin ont été écrasées » : les jurats ordonnent l’embauche d’ouvriers travaillant à la journée pour rétablir les vannes endommagées pour ne pas nuire au fonctionnement du moulin.